« Après 20 ans à
bosser ensemble dans cette aventure incroyable qu’était Rhapsody, la situation
actuelle n’est pas si étonnante. Après tout, combien de groupes dans le monde
du Metal et même dans l’industrie musicale en général ont été capables de
garder le même line-up pendant 20 ans comme nous l’avons fait Alex, Fabio
et moi en tant que compositeurs principaux ? »
C’est sur ces mots que commence mon entretien avec le
guitariste Luca Turilli, échappé de l’aventure Rhapsody Of Fire afin de former
sa propre version du combo intitulée Luca Turilli’s Rhapsody tandis que ses
compères Fabio Leone (chant) et Alex Staropoli (claviers) continuent leur
aventure dans la première monture du groupe. Dur à suivre ? Surement pas
pour Luca qui vient tout juste de sortir le premier album de ce nouveau combo
« Rhapsodien », un manifeste surprenant, tranchant quand même pas mal
avec son ancien groupe. « Ascending To Infinity » propose avec ses 8
morceaux une revisite de la musique de Rhapsody Of Fire, rendant à nouveau
attractive cette dernière qui semblait
commencer à tourner en rond. « Il
nous fallait finir cette saga, c’était la priorité, nous ne voulions pas
laisser tomber ce qui avait été commencé tant d’années plus tôt. »
Pouvions-nous vraiment voir venir la situation dans laquelle
se trouve le groupe aujourd’hui ? Difficile à dire. Pourtant, en
réecoutant leurs deux derniers albums, nous pouvions sentir cette envie
d’innover, l’arrivée de structures musicales plus agressives, violentes,
différentes de ce que Rhapsody savait proposer était un signe de bonne foi d’un
groupe voulant prouver qu’il n’était pas que ce qu’il avait laissé voir toutes
ces années. L’essoufflement se faisait peut-être sentir quand on y repense,
l’effort était louable, mais avait-il totalement convaincu ? « Nous en parlions avec Alex, il fallait qu’on
arrive à ces 10 albums, il fallait qu’on insiste. Malgré les problèmes
juridiques, tous les ennuis qui nous sont tombés dessus, nous nous sommes
toujours relevés et avons fait ce que nous devions faire. »
« Cette saga s’est terminée avec The Frozen
Tears Of Angels et From Chaos To Eternity, nous sommes de mon point de vue l’un
des seuls groupes au monde à avoir réussi à créer une telle saga musicale
tenant sur dix albums, l’amener à son terme. Dès que c’était terminé, il n’y
avait aucune raison de ne pas continuer. Mais je voulais faire quelque chose
qui ne correspondait plus à ce que Fabio et Alex souhaitaient réaliser, ça
n’aurait pas collé et surement pas donné quelque chose de bon, même si la
motivation était présente pour que nous restions ensemble. »
Luca fera référence également durant notre
entrevue aux multiples problèmes endurés par le groupe, telle l’obligation de
changer le nom du groupe passant de Rhapsody à Rhapsody Of Fire.
L’investissement personnel des finances des membres du groupe est aussi abordé,
le guitariste tenant à rappeler que le combo ne serait plus là si chacun n’y
avait pas mis tout ce qu’il avait. Ce dernier parle de son aventure comme celle
d’une équipe soudée et prête à tout afin d’obtenir le résultat escompté avec le
début de leur saga musicale. Quitte à
faire de très lourds sacrifices…
« Il était
important pour moi que les deux groupes soit liés, c’est pour ça par exemple
que le logo du groupe est présent dans les deux versions de ce dernier. Que
nous puissions être reconnus pour ce que nous sommes, c’est-à-dire, Rhapsody. » Luca insiste bien sur le fait que les deux
groupes ont les mêmes possibilités d’investissement, un bon gros 50/50 en
somme, chacun suit une route différente mais les deux finissent par se
rejoindre à un point qui restera inconnu des fans et qui est surement la source
de l’incompréhension quant à ce « split » qui n’en est pas vraiment
un. Il faut se l’avouer, la situation
est dérangeante, car ce n’est pas un secret, Luca était la pierre angulaire de
Rhapsody Of Fire, c’était sa touche qui permettait au groupe de briller, son
investissement qui menait à ce que nous avons pu écouter du groupe ces 15
dernières années.
« Je ne sais pas
ce que fera Rhapsody Of Fire, comme je le disais, Fabio et Alex ont des idées
différentes des miennes et je pense donc que leur prochain album contiendra son
lot de nouveautés. Regarde ce que je fais avec Ascending To Infinity, ce que
j’appelle le Cinematic Metal, nous retrouvons les bases de ce qui faisait le
groupe, mais ça reste quand même bien différent. Je pense que l’impact sera le
même avec le nouvel album de Fabio et Alex. »
Il faut bien comprendre une chose, nous sommes face à
Rhapsody quoique nous écoutions, tout comme nous serons face à Rhapsody quand
le nouvel album mené par les anciens camarades de Luca sortira. Pour bien piger
ce dont il en retourne je pense que la phrase : « Deux visions, un
groupe. » peut convenir.
Mais la vraie question demeure, que vaut ce premier album de
Luca Turilli’s Rhapsody ? Cet « Ascending To Infinity » qui
semble promettre un renouveau, un nouveau style appelé le Cinematic
Metal ? Le plus surprenant n’est pas le fait que la promesse est tenue,
mais qu’un petit retour aux sources semble être de la partie, ce nouvel album
rappelant sous certains aspects le premier album du groupe, à savoir
« Legendary Tales ». Comme l’explique Luca, c’est un peu la marche à
suivre que nous pouvions constater depuis les débuts, le groupe ayant pris
l’habitude de sortir un album très symphonique avant de dévier vers des
structures plus agressives sur ses suites. Il suffit de voir l’enchaînement
« Legendary Tales + Symphony Of Enchanted Lands + Dawn Of Victory »
pour constater que le raisonnement du guitariste se tient. Est-ce un
presqu-aveu que le prochain album suivra ce schéma ? L’avenir nous le
dira. En attendant, on ne peut pas nier que ce nouvel opus est bel et bien symphonique
à souhait, pour notre plus grand plaisir.
Cependant, pas mal de nouveautés se font sentir, et nous
notons surtout l’intégration de plusieurs nouvelles sonorités pour la plupart
orientales comme nous pouvons l’entendre sur les deux premiers morceaux (ndlr :
« Quantum X » et le titre éponyme « Ascending To
Infinity ») ainsi que sur la masterpiece « Dark Fate Of
Atlantis ». Le visage de cet album se veut aussi plus spatial, plus
« futuriste », la production est assez aérienne semblant être
réalisée dans l’optique d’emmener l’auditeur encore plus loin qu’avant. L’effet fonctionne puisque cela faisait
depuis bien longtemps que Rhapsody n’avait pas autant transporté.
Riche, très
(trop ?) riche même, Luca nous emmène un peu partout, ça sonne
néoclassique puis baroque, avant que de grands délires épiques parsemés un peu
partout viennent nous embarquer dans l’aventure que Turilli veut nous faire
vivre. Le rôle des claviers est primordial dans cette nouvelle galette tant ces
derniers façonnent ce visage très aérien, spatial et ouvert que Luca offre à
l’auditeur : « Je ne sais pas
pourquoi j’ai commencé la guitare, j’aime en jouer certes mais je préfère
encore plus le piano ou les claviers ! Je ne me considère même pas comme
un bon joueur de guitare (ndlr :
Bah voyons.), ni même un bon joueur
de piano, mais c’est simple, je voulais faire les deux sur cet album, me faire
plaisir et surtout aller là où je souhaitais aller. Vers quelque chose d’épique
principalement, c’est ça le Cinematic Metal, c’est l’art d’allier ce que je
faisais avant avec Rhapsody Of Fire avec des parties épiques issues de B.O de
films. J’ai toujours adoré les B.O, il n’y a pas grand-chose qui peut te faire
plus rêver qu’une B.O bien composée. »
Luca se considère comme un compositeur, il le répètera
plusieurs fois durant l’interview. Cet Ascending To Infinity
sonne comme un « From Chaos To Eternity » allié aux deux premiers
albums du combo cité plus haut. Toute
cette recette mixée avec des passages rappelant une B.O de film, emportant son
spectateur dans l’aventure qu’il regarde sur grand écran. Mention spéciale
également au chanteur engagé pour cette « nouvelle » aventure,
Alessandro Conti qui accomplit un boulot remarquable en étant proche et à la
fois éloigné du vocaliste qu’est Fabio Leone. Avec lequel d’ailleurs Alessandro
pourra partager un point commun, celui d’avoir une prononciation un peu
hésitante au niveau de l’anglais dans son chant, comme aux débuts de Fabio. Le
titre « Tormento E Passione » chanté intégralement en Italien est une
vraie leçon vocale pour quiconque posera l’oreille dessus. Conti module comme
rarement il est possible de l’entendre, particulièrement sur ce morceau certes,
mais ce dernier n’est pas en reste sur l’intégralité de l’album, surprenant son
monde et devenant surement la pièce maîtresse de cette nouvelle œuvre signée
par Luca. « Il me fallait quelqu’un
pouvant jouer sur différents tableaux, quelqu’un qui pouvait s’adapter à tout
ce qu’on pourrait proposer et Alessandro répondait à ce profil ! Il
pouvait reprendre les titres chantés par Fabio dans Rhapsody d’une telle manière,
c’était impressionnant, il monte tellement haut, je savais que j’avais trouvé
le chanteur qu’il me fallait. »
Les thèmes de l’album sont aussi différents des anciens
travaux réalisés par Luca qui part cette fois vers quelque chose de plus
scientifique et surnaturel à la fois, Luca tenait à construire plusieurs
concepts comme il nous l’a expliqué lors de cette entrevue. « Je ne voulais pas d’un album qui ne
traiterait que d’un seul sujet, par exemple les chansons Quantum X, Ascending
To Infinity et Dark Fate Of Atlantis traitent de cette idée qui met en valeur
le fait que plusieurs mondes cohabiteraient dans notre univers. J’aborde aussi le sujet des choses
inexplicables issues de notre passé, de notre présent, il y a tellement de
choses dans l’univers qu’on n’explique pas, que je souhaitais mettre en valeur
cet état de fait. Toutes les énigmes sur terre en quelque sorte, la religion au
Moyen-Âge, les groupuscules obscurs, tout ça est traité par exemple. Je me suis
aussi intéressé à la vie quotidienne, les effets qu’elle a sur nous, comment
nous la vivons. La relation entre la raison, l’animal et son instinct m’a aussi
intéressée et est utilisée dans cet album. C’est vraiment différent des thèmes
abordés dans les anciens opus. »
Vous l’aurez compris, ce nouveau Rhapsody, puisque s’en est
un si nous suivons la logique de Luca, marque un tournant, réutilisant les
bases de ce qui a fait le succès du groupe et y ajoutant des nouveautés non
négligeables qui donnent une nouvelle inspiration à la musique jouée depuis déjà
près de 20 ans par son guitariste et compositeur fétiche.
A l’écoute, rien ne vous semblera si nouveau que ça et
pourtant le Cinematic Metal lancé par Luca prend tout son sens, rendant la
musique de Rhapsody plus envoûtante et épique qu’elle ne l’a jamais été. Chaque morceau possède son propre visage et
offre à l’auditeur une facette émotionnelle différente à chaque fois. On ne
s’ennuie pas malgré la dose d’informations à engranger durant l’écoute qui
parait paradoxalement assez courte.
Un très bon album donc, à se procurer au plus vite si vous
aimez les grandes épopées.